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Thérapie de la dissociation traumatique : un art de la réunification

La dissociation et le psychotraumatisme

« La santé psychique se caractérise par la capacité d’intégration, permettant d’unifier en une seule personnalité un large éventail de phénomènes psychiques. » (Matthess & Dellucci, 2011, Dissociation structurelle de la personnalité, Dunod, p.292-304).

À l’inverse, la dissociation provoque une déconnexion entre les situations, les émotions, les sensations et l’identité, en réaction à un événement perçu comme violent. Elle représente une réponse de sauvegarde neurobiologique, l’une des défenses naturelles extrêmes de l’organisme face à une agression.

Lorsque trop de violence, de pression, ou de peur s’accumulent, et qu’il manque des éléments positifs tels que l’attention ou la présence, la « fenêtre de tolérance » est dépassée, voire brisée. Ce concept de psychotraumatologie désigne le seuil de stress qu’un individu est capable d’intégrer. Le corps, alors, se coupe d’une partie de l’expérience psychique, compense en circuit fermé et se connecte à son intelligence organique pour supporter le choc.

Le psychotraumatisme, selon la définition de Louis Crocq, est un «phénomène d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par des excitations violentes associées à la survenue d’un événement agressant ou menaçant la vie ou l’intégrité physique ou psychique d’une personne». Cela peut résulter d’un événement unique, de chocs répétés ou d’une accumulation de traumatismes quotidiens. Aucun événement n’est traumatique par nature : tout dépend de l’histoire du sujet et de sa capacité de tolérance.

Les symptômes peuvent inclure des sensations de brûlure, de blocage, de vide ou des douleurs confuses, laissant des empreintes dans la mémoire implicite du corps. Ces symptômes se manifestent lors des séances comme des souffrances corporelles, émotionnelles ou mentales, dans le transfert du patient et le contre-transfert du thérapeute.

Les signes de la dissociation se repèrent par une activation du corps et du système nerveux. Cela peut se traduire par une absence, une retenue, ou des comportements d’évitement, ainsi que par des troubles anxieux, des addictions ou des troubles borderline.

La dissociation, cristallisation organique d’une souffrance singulière

François Roustang (1923-2016), hypnothérapeute et psychanalyste, définit la dissociation comme “une séparation entre perception restreinte et perception généralisée” dans l’ouvrage de Jean-Marc Benhaîm, L’art de l’hypnose avec François Roustang (Odile Jacob, 2024, p.58). Le travail de Joanna Smith dans Psychothérapie de la dissociation et du trauma est une source majeure pour ce chapitre, apportant des éléments précis et riches sur le sujet.

Par perception, Roustang entend notre faculté immédiate et vivante de nous appréhender. Une perception « restreinte » indique une inhibition, un manque “d’ampleur et de souplesse”. En revanche, une perception généralisée cohabite sans conflit, chaque perception trouvant sa place dans un ensemble plus large.

La dissociation est un phénomène naturel que nous expérimentons tous. Parfois, lors d’une conversation, un malaise ou une confusion peut surgir soudainement sans raison apparente. Ce repli intérieur est une manifestation courante de ce mécanisme.

La dissociation n’est pas toujours pathogène. Il s’agit d’une faculté naturelle, comparable à une forme d’autohypnose ou à un état modifié de conscience que nous utilisons lorsque nous rêvons, méditons ou faisons face à des douleurs légères. Cependant, face à un événement traumatisant, cette capacité intervient de manière plus radicale : elle disjoncte les connexions nerveuses pour protéger la conscience.

Dans ces cas extrêmes, la dissociation entraîne un étrange « après-coup », laissant des rémanences et des perturbations qui pèsent sur le sujet, provoquant une inhibition ou des blocages. Ces manifestations reviennent souvent dans le cadre d’une psychothérapie.

Un souvenir ordinaire, sain, peut être représenté, situé et lié à des émotions, qu’elles soient agréables ou désagréables. Nous en avons la maîtrise. Le souvenir traumatique, quant à lui, présente toujours une dissociation : la représentation est confuse, l’accès aux émotions est perturbé, et l’expression est souvent altérée par des phénomènes tels que la dépersonnalisation ou la déréalisation.

Plus mystérieux encore, le syndrome traumatique ne dissocie pas corps et cognition de manière aléatoire. Il suit un itinéraire intime des fragilités du sujet, fissurant la personnalité selon des failles internes précises.

Freud a nommé ce phénomène clivage, terme emprunté à la minéralogie. Il décrit la capacité des minéraux à se briser selon leur structure cristalline lors d’un choc, ce qui illustre comment la dissociation affecte la personnalité.

L’art thérapeutique consiste alors à recoller les morceaux, une reconnexion organique qui permet au sujet de retrouver son unité psycho-organique. Ce processus peut être comparé au Kintsugi, l’art japonais de réparer des porcelaines brisées en soulignant les fissures avec des fils d’or, magnifiant ainsi la beauté des éclats rassemblés.


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